Naisseur d’Old Chap Tame, dont il était propriétaire jusqu’en fin d’année dernière et qui vient de se classer 2ème du Grand Prix CSI5* de Shanghai avec Edwina Tops-Alexander, Denis Brohier fait partie des éleveurs qui se déplacent beaucoup sur les terrains de concours pour décider des orientations de leurs croisements futurs. Rencontre avec un éleveur moderne.
Webstallions : Pouvons-nous débuter par un bilan de votre saison 2013 sur les plans du sport, de l’élevage et du commerce ?
Denis Brohier : Notre bilan 2013 est en demi-teinte. Nous avons eu la malchance qu’Old Chap se blesse à Bordeaux, ce qui ne lui a pas permis d’entrer dans les qualifications. Il a souvent été présent en 5ème dans les CSIO et n’a pu s’exprimer comme il aurait pu le faire s’il avait couru davantage de Coupes des Nations. Nous avions également manqué de chance en 2012 où il avait été victime de l’épidémie de grippe à La Baule et n’avait pu faire les CSIO et CSI5* qu’une fois que la saison était bien lancée.
Du côté des jeunes chevaux, nous avons eu de bons classements avec notamment la 8ème place d’Up and Down Tame dans le championnat des 5 ans.
Nous avons connu une année fructueuse au niveau de l’élevage avec 11 trois ans vendus. L’image de l’élevage est bonne et l’affixe «Tame » est vecteur de commerce. Nous avons toujours eu de bons retours sur les chevaux vendus et les acheteurs n’ont pas eu de mauvaises surprises.
Enfin, nous avons vendu Old Chap Tame, ce qui était notre objectif depuis l’arrivée du cheval chez Eugénie. Nous nous sommes fait plaisir pendant deux ans et aujourd’hui il nous fait toujours plaisir.
W. : Revenons sur la vente d’Old Chap, vous avez dit qu’il avait eu du mal à se faire une place en équipe de France, pourquoi selon vous ?
D.B. : Je pense qu’à l’heure actuelle, même en ayant un super cheval, il devient de plus en plus difficile d’intégrer les équipes car elles sont plus ou moins bouclées avec trois ou quatre cavaliers incontournables ayant plusieurs chevaux chacun. En France, quelques cavaliers parviennent tout de même à intégrer l’équipe comme Aymeric de Ponnat et Timothée Anciaume et j’espère que ce sera également le cas de Reynald.
Je ne suis pas fermé à l’idée de mettre un jour un très bon cheval à l’exploitation à l’étranger si cela lui permet d’être dans l’équipe car pour nous le but est d’aller à haut niveau et de vendre.
Dans le système actuel, il faudrait qu’un cheval ait trois cavaliers : pour débuter un cavalier de jeunes chevaux, ensuite un cavalier de CSI3* et enfin un cavalier de CSI5*. Dans notre organisation, le but est que chacun de ces cavaliers puissent toucher quelque chose : par exemple, quand un cheval part de chez Stéphane (Dufour, qui monte les jeunes chevaux des Brohier), nous valorisons le cheval à une valeur de sortie, et lorsqu’il est vendu Stéphane touche 10 %. Ce système permet de motiver tout le monde, mais globalement je pense qu’il est encore difficile de faire comprendre à un cavalier de CSI3* qu’il ne pourra pas intégrer les CSI5* et qu’il faudra que le cheval change de cavalier pour atteindre le haut niveau.
W. : Pouvez-vous nous parlez de votre collaboration de longue date avec Patrick Bizot ?
D.B : Dans le milieu du cheval, comme dans le business, il faut un producteur, un investisseur, un cavalier… bref, il faut une équipe pour y arriver.
Patrick, qui achète 50% des deux ou trois meilleurs poulains de chaque génération de l’élevage, nous a permis par son soutien financier de conserver des chevaux et de les amener à haut niveau. C’est notamment grâce à lui que nous avons pu conserver Old Chap si longtemps et qu’il a pu atteindre le haut niveau avec nous. S’il n’avait pas été là, nous aurions probablement vendu le cheval à cinq ou six ans.
W. : Le concours étalons, la grande semaine de l’élevage… sont-elles des étapes incontournables dans la carrière de vos jeunes chevaux ?
D.B. : Il est bon de participer au concours étalons à trois ans pour se confronter aux autres car chez soi on a tendance à toujours être champion du Monde. Il est important d’y aller pour bien y figurer mais les gens oublient vite qui étaient les cinq premiers du championnat. L’approbation à trois ans n’est pas forcément une finalité car les jeunes étalons saillissent peu. Le stud book nous donne accès au Guide Selle Français des jeunes étalons qui est un très bon outil puisqu’y figurent des appréciations de professionnels. A trois ans, Old Chap avait eu la meilleure note à l’obstacle du concours mais il avait manqué l’agrément pour un demi-point.
Si un cheval étalonnable n’est pas approuvé à trois ans, il est toujours possible de le présenter à Fontainebleau les années suivantes.
Comme le concours étalons, pour nous Fontainebleau n’est pas un impératif, mais cela est bien de participer pour l’image du haras. Si nos chevaux sont qualifiés et que nous estimons qu’ils sont prêts, nous les emmenons, mais je pense que lorsque l’on a un cheval avec du potentiel il faut suivre son chemin, qu’il passe ou non par Fontainebleau.
W. : Pouvez-vous nous parler de votre actualité d’étalonnage ?
D.B. : Etalonnier était notre métier à part entière du temps de Narcos II, Quat’Sous… A l’époque, nous faisions des présentations privées à la maison où 600 personnes venaient chez nous.
Aujourd’hui, ce n’est plus notre premier métier, nous ne mettons pas tout en œuvre pour vendre le plus de cartes possibles. D’une part, nous n’avons pas suffisamment de moyens et, d’autre part, nous avons peu d’étalons et je pense que pour fonctionner aujourd’hui il faut une offre large.
Pour qu’un étalon travaille dans notre structure, dans laquelle il y a moins de marketing que chez les étalonniers leaders, il faut vraiment que ce soit un cheval qui crève l’écran.
Cette année, cinq étalons sont proposés à la monte en semence fraîche au haras de Tamerville : Canturo, L’Arc de Triomphe, Montender, Quadrio Tame et Quinoto Bois Margot, et, en collaboration avec Eurogen, 25 à 30 étalons sont congelés chaque année à Tamerville, mais nous gérons uniquement la monte et l’envoi.
2ème partie à suivre demain.
Photos : en haut, Old Chap Tame, récent 2ème du Grand Prix CSI5* de Shanghai. En bas, une partie de l'effectif des poulinières de Denis Brohier - Photos Collection privée.